Prescrire est une responsabilité difficile. Jaddo le disait dans une interview lue récemment, que je n’ai pas retrouvée. C’est une responsabilité envers la santé du patient et envers la société qui rembourse les médicaments.
J’ai une personnalité assez obsessionnelle. Je doute des heures et des jours. De tout. Tout le temps. Mais une fois que je me suis décidée, que j’ai un avis, je deviens super bornée, inflexible.
Pour l’instant, je ne sais pas quoi penser.
J’ai l’impression qu’on pourrait se prendre la tête des heures rien que sur les sirops pour la toux. Je ne prescris pas de sirop pour la toux. Je n’en prends pas quand je suis malade. (En même temps je suis asthmatique, c’est une contre-indication, si j’en prends j’ai l’impression de me noyer toute seule dans mes poumons).
Sauf que les patients ils toussent et ça les gêne. Et surtout ils ont l’habitude qu’on leur donne un médicament pour ça, on ne leur a jamais dit que ça risquait de les tuer… et en plus ils n’en sont pas morts, ce qui pour beaucoup de gens, a plus de valeur que toutes les statistiques du monde.
Moi les stat j’y crois, le « c’est pas significativement plus efficace », j’y crois. Je suis venue en médecine générale pleine de super idées sur l’EBM* au jour le jour. Mais j’ai un patient en face de moi qui VEUT son sirop pour la toux, qui trouve que mon conseil de manger du miel c’est un remède de bonne femme. Et surtout, je ne suis pas toute seule, je suis avec un prat, plus ou moins présent, qui, lui, prescrit du sirop. Selon le prat ça va de « de temps en temps » à systématiquement, en général avant même que le patient ait réclamé, parce qu’ils pensent que ça marche un peu ou parce qu’ils n’ont pas envie de tergiverser. L’argument des effets secondaires n’a pas de prise puisqu’ils n’en ont jamais vu. Les médecins sont parfois comme les patients, ils préfèrent leur expérience personnelle.
Pour beaucoup de gens, le rhume, c’est LA maladie qui les emmerde. Avoir le nez bouché est insupportable. Bon OK moi je suis docteur je vois des gens qui prennent des médicaments tous les jours, et qui peuvent mourir de ne pas les prendre… je vois des gens qui souffrent et qui meurent. En plus j’ai moi-même deux bronchites par hiver, pour lesquelles je tousse deux-trois semaines et ça passe. Mais je fais médecine générale alors je vois aussi des patients qui sont en bonne santé et comme maladie, ils n’ont qu’une bronchite ça les embête bien. Quand c’est Monours qui a une pharyngite, donc refuse toute activité sociale ou ménagère, boude toute la journée et me regarde avec un air d’apocalypse en me disant « je suis maaaalaaaade ! » parce que je lui ai proposé, tenez vous bien de : sortir de la maison( !), bon, je rouspète, je me moque, je lui donne même pas de médicaments, de toutes façons, il n’en veut pas. Mais c’est Monours, il sait ce que j’en pense, il sait que je l’aime quand-même et il sait relativiser.
Le patient maaaaalaaaade avec son nez bouché ou sa pharyngite, il est vraiment gêné, et à ce moment-là il ne pense pas aux gens en train de mourir de quelque chose de plus grave que ce rhume auquel en tout état de cause, il devrait survivre.
Tous ces gens avec leur nez bouché, faut-il leur donner du spay-débouche-nez ? D’emblée, à tous les rhumes ? Seulement s’ils en demandent ? Et celui qui en aurait voulu mais ne réclame pas parce que « c’est le docteur qui décide » ? Il ne serait pas traité comme les autres ? Un de mes maitres de stage (le « prat du mercredi » pour les intimes, qui mériterait plusieurs post à lui tout seul) donne larga manu du dérinox parce que « sinon les gens ils sont pas guéris, ils reviennent ». Est-ce un médecin méga sensible à la souffrance de ses patients ? Ou un médecin qui ne veut pas perdre de temps en explications ? Dans les deux cas on n’imagine qu’il ne le ferait pas s’il pensait que ce médicament est dangereux. Mais il n’a jamais vu d’effets secondaires (on y revient, j’ai pas vu donc ça n’existe peut-être pas).
Alors faut-il se prendre la tête avec tous les médicaments ? Oui surement. Et avec tous les patients ? Non sinon je vais vite péter un plomb.
Quand je serai toute seule qu’est ce que je ferai ?
Hé bin j’en sais rien.
Une solution serait d’attendre de comprendre les représentations de chaque patient, ce que représente le rhume pour lui, etc. .. Mais parfois cela me donne l’impression de prescrire selon la convenance des gens, de ne pas avoir de ligne de conduite. Et je suis obsessionnelle, je l’ai déjà dit, j’ai besoin d’avoir un avis tranché.
Et puis j’avoue, des fois c’est long en consult’ de tout décortiquer, et des fois on est fatigué on n’a pas le temps, et des fois on essaie et on comprend de travers.
Je me souviens avec grand plaisir d’un papa qui amène un vendredi son petit pour un rhume. Je lui explique que l’essentiel c’est de « laver le nez » au sérum physiologique, aussi souvent que nous on se mouche, etc… et puis pas d’autre traitement, la toux c’est parce que ça coule derrière, rien d’inquiétant, les poumons sont tout propres à l’auscultation, blabla… et c’est viral pas d’antibiotique. Le papa m’a écouté, en hochant la tête. Il a du se dire que mon laïus était bien long pour ne rien lui prescrire, ou trouver que j’avais beaucoup l’air de m’excuser, ou il aimait peut être bien mon explication, finalement, je ne sais pas. Et à la fin il m’a dit « oui je suis bien d’accord avec vous, les médicaments, si on peut s’en passer tant mieux, je voulais être sûr qu’il n’y avait rien de grave parce que c’est la première fois qu’il est malade comme ça, il tousse, et puis après c’est le weekend ». Voilà. C’est tout simple il ne venait pas pour avoir une ordonnance! J’étais contente ce jour-là, de ne pas avoir à me battre avec mes explications.
Quand j’ai un avis, que je pense qu’un médicament est sans effet mais sans risque, tout est simple.
Un exemple: le maxilase, un placebo en sirop qui est censé être « anti-inflammatoire local », ou les pastilles pour la gorge, même combat. Bon vous avez mal à la gorge, blabla, du miel, de la glace et hop ! (et c’est vraiment comme ça que je fais dans ma vraie vie quand j’ai une angine).
Déjà j’attends qu’on me réclame le sirop (ou qu’on me pose la question), je n’en parle pas spontanément. Je réponds que ce n’est pas plus efficace que le miel que donc pour moi c’est un placebo, mais que devant les faibles effets secondaires de ces médicaments, si le patient veut en prendre, c’est son choix.
Le problème c’est avec les médicaments remboursés, parce que dire « vous faites ce que vous voulez » ce n’est pas la même chose que de prescrire (et donc de faire payer par la société) un placebo.
Et surtout des fois je ne SAIS PAS si je peux dire c’est sans danger.
Vous voulez prendre de l’homéopathie pour vos verrues ? On n’a pas de preuve que cela fonctionne mais si cela vous tente et que vous acceptez de payer, allez-y. Si cela ne marche pas n’hésitez pas à revenir me voir.
Dr Hyde parle (ici) de façon intéressante du besoin de « prendre en main » sa maladie, d’agir. En achetant du pschitt-débouche-nez et de bonbons pour la gorge avec un gout de médicament plutôt que de sucer des Carambar. C’est compréhensible. Le paracétamol a une telle image de « petit médicament » que ce n’est pas agir de prendre seulement ça et de l’eau salée. Donc pourquoi pas des médicaments de confort ? C’est un terme avec lequel j’ai du mal, pourtant il est couramment employé par les médecins eux-mêmes pour parler de la vilaine sécu qui dérembourse en se fichant du confort de gens. Ce qui n’apparait pas chez Dr Hyde, ni chez le pharmacien, ni chez les patients qui se plaignent qu’on « ne soigne plus les rhumes », c’est que c’est quand même un médicament. Donc avec des effets secondaires.
Un enfant tousse « gras », c’est embêtant, il est grognon, il dort mal, maman aussi. Elle lui masse la poitrine le soir avec de la pommade « pour la toux ». Il fait une crise convulsive. Avouez que c’est dommage, faire une crise convulsive vs tousser gras, la balance est vite faite. Donc je dois pouvoir au moins informer sur les effets secondaires, avoir un avis sur la balance bénéfice-risque, et souvent je ne sais pas.
Mais on me dit que le sirop pour la toux tue des gens ? Je ne trouve pas la référence (en dehors des contre-indications). Alors dois-je m’arc-bouter sur mon sirop pour la toux ? Dire aux gens je ne vous le prescris pas parce que c’est dangereux ? Tant que je ne suis pas convaincue je ne peux pas faire ça.
Je vais me faire mon avis petit à petit, médicament par médicament. Je lis la revue prescrire. Comme d’autres je la trouve parfois excessive dans le sens du « jamais de médicaments ». Je ne sais pas si j’arriverais au niveau de décroissance du Dr Borée. Je sais que je pars avec bien moins de médicaments que mon Prat’ du Mercredi, bien moins de médicaments que la médecine que j’ai apprise à l’hôpital. Je sais que je veux aussi écouter les patients.
Mais pourquoi j’ai fait 9 ans d’étude et j’ai l’impression qu’il me reste toute la thérapeutique à apprendre ?
*EBM: Evidence Based Medicine ou médecine basée sur les preuves